mercredi 22 juin 2011

Bixi : quand un beau projet se transforme en un fiasco politique et médiatique

Je vous parlerai de la genèse du projet de vélo libre service sans nommer nécessairement des gens ou des organisations parce que le projet est devenu éminemment politique, une vraie patate chaude. Mais au fond, quand on cherche, on trouve.
L’idée est partie d’un regroupement d’organismes de développement local et de soutien à l’entrepreneuriat. Dans le processus, tous les acteurs majeurs du transport durable du Québec ont été consultés. Une étude d’opportunités avait même été réalisée par une firme réputée dans la gestion du transport durable pour la mise en place du projet de vélo libre service dans un arrondissement donné de Montréal. L’étude de marché de Montréal démontrait un intérêt du public envers ce mode de transport. La grande majorité de la population (93 %) estime que l’usage du vélo devrait être encouragé en milieu urbain. Tous les principaux cas de services de vélo libre service dans le monde ont été analysés et comparés afin de ressortir les forces et faiblesses de chaque projet et donc ainsi éviter au projet montréalais de commettre des erreurs commises ailleurs, notamment en Europe. On est loin ici d’un projet tombé du ciel.


Constats émanant de l’étude préliminaire.
Des systèmes de location de vélos en libre-service (SVLS) ont été implantés en grand nombre à travers l’Europe depuis la fin des années 1990.

Leurs avantages 

- Ils renforcent la sûreté des déplacements en réduisant les risques liés au vol et au vandalisme, par rapport aux vélos traditionnels.
- Ils améliorent les conditions de confort en éliminant les contraintes imposées par le stationnement à domicile et l’entretien mécanique.
- Ils sont souvent très peu coûteux pour leurs utilisateurs, ce qui représente un atout certain vis-à-vis des principaux modes de transport concurrents, comme l’automobile ou les transports collectifs. Certaines villes sont parvenues à améliorer leur image et leur rayonnement sur les plans culturels, touristiques et économiques.
Des désavantages avaient été soulignés dont le fait que l’implantation d’un SVLS d’envergure serait une première en Amérique du Nord et imposerait une série de défis pour assurer la fonctionnalité et l’efficacité du système. Je ne citerai pas les différentes recommandations.

Plusieurs cas européens ont été analysés dans l’étude préliminaire : White bikes (Pays bas), Oslo Bycykkel, City Bike Wien (Vienne), Bycyklen (Copenhague), Call-a-Bike (Berlin), Vélo’v (Lyon), etc.
A la sortie de ce processus et des analyses, il était clair qu’un projet de ce genre et de cette envergure ne pouvait pas se faire sans investissements majeurs de la municipalité qui l’accueille. C’est le cas dans presque tous les cas étudiés. Le modèle Velo’v de Lyon était considéré comme la référence en matière de SVLS urbain et a été adopté par les villes de Bruxelles, Paris et Marseille, Aix-en-Provence, Mulhouse et Séville. Ce projet a été réalisé en mode PPP et est géré par la compagnie d’affichage JC Decaux. Le projet était viable parce que géré par une compagnie d’affichage qui utilisait en même temps les vélos et les stations comme supports publicitaires. Chaque vélo était commandité par des entreprises qui voulaient être considérés comme de bons citoyens corporatifs. La viabilité du projet dépendait donc en grande partie des revenus de publicité et de commandites. Par exemple, Lyon percevait une redevance annuelle d’occupation du domaine public de 18,3 millions d’euros (27,8 millions CAD$), un vrai PPP. JCDecaux assure la totalité des coûts d’implantation et de gestion du système Vélo’v, en contrepartie de revenus publicitaires. Pourquoi n’a-t-on été capable de répliquer le scénario à Montréal ? Complexe et long à expliquer.

Les initiateurs ont ensuite élaboré un appel d’offre de services pour réaliser une étude de faisabilité (socio-économique, technique, financière, etc) détaillée du projet à Montréal tout en ciblant le centre-ville de Montréal et les arrondissements centraux. Le projet devrait prioriser  les petits déplacements en ville,  les employés des grandes entreprises, et surtout viser la clientèle de touristes de façon à ne pas concurrencer les petites entreprises de Vélo de Montréal. Jusque là, tout se déroulait bien. Mais bien sûr, les initiateurs du projet étaient conscients que le projet ne pouvait se faire pour Montréal sans des investissements de démarrage importants de la Ville comme partout ailleurs. Le coût d’implantation du projet dans le centre-ville et les quartiers centraux tournait autour de 12,5 millions. Avant de finaliser l’étude de faisabilité, les acteurs politiques avaient donc été approchés. Le projet était beau et cadrait avec le plan de développement durable de la Ville.
Tombé dans les mains des politiciens, le projet prendra une autre tangente
Le projet a été récupéré et son développement avait été confié à Stationnement Montréal dans des conditions un peu floues pour moi. Les initiateurs du projet ont donc ainsi perdu le contrôle du projet car désormais l’Administration Tremblay a décidé d’en faire un projet phare. Le regroupement des organismes de développement local devrait se contenter de créer une entreprise d’insertion des jeunes éloignés du marché du travail pour s’occuper de l’entretien, de la réparation et de la répartition des vélos, une excellente initiative en soi.
Avec l’administration Tremblay, l’empressement a pris le pas sur la prudence et l’orthodoxie financière. La réalisation du projet a même été plus rapide que ce qui était prévu au départ, c’est-à-dire commencer d’abord par le centre-ville et les quartiers centraux et étendre tranquillement le projet vers les quartiers périphériques seulement lorsque le noyau serait solide financièrement. C’est à partir de là que les coûts d’implantation ont augmenté plus vite que prévu, ce n’est pas nécessairement parce que le projet n’était pas viable.
La ville avait rejeté l’idée d’un partenaire privé qui développerait des revenus publicitaires avec les Bixi, donc n’a pas retenu les conditions de viabilité énumérées dans l’étude préliminaire. Sans connaître les vraies raisons, je suppose que c’est à cause du faible degré d’amour au Québec pour les PPP et probablement parce que le PPP lyonnais connaît son lot de contestations, non seulement en fait de qualité du service offert par le prestataire, mais également en terme d’investissement du domaine public, qui se traduit notamment par l’apparition de certains affichages publicitaires intempestifs.

Je me demande parfois si M. « je ne sais pas » est vraiment au courant de l’origine du projet et de tout ce processus. Voilà comment des visées politiques transforment un beau projet en un « fiasco » dénigré dans les médias.
A mon humble avis, en déviant du plan initial, la ville aurait dû tout simplement présenter le projet comme un service public et le soutenir comme tel, viabilité ou pas, comme dans beaucoup d’autres villes en Europe au lieu de nous vendre un projet qui ne coûterait rien aux contribuables. Après tout, si la STM était rentable, Québec ne serait pas pris  aujourd’hui à financer à 100% le remplacement des voitures du Métro.

Nuancer le rôle de Stationnement Montréal dans le projet
Au départ, je trouvais très inapproprié et contraire aux normes de la bonne gestion le fait que la Ville de Montréal confie, sans appel d’offres, le développement du projet à l’ « entreprise privée » Stationnement Montréal. Mais en cherchant un peu sur l’historique des relations entre la Ville et l’entreprise, j’ai mis un peu d’eau dans mon vin. Il faut retenir que Stationnement Montréal est une société en commandite rattaché à la Chambre de commerce de Montréal métropolitain (OBNL) qui en est le commanditaire. La CCMM a pour mission de promouvoir le développement économique et favoriser la prospérité de Montréal. Ce n’est donc pas « une entreprise privée vraiment privée ».
De plus en lisant le sommaire décisionnel du comité exécutif de la ville du 3 octobre 2007, disponible en ligne ici, je commence à trouver que les élus n’étaient pas si sous-informés que cela.
Extrait du sommaire décisionnel du Comité exécutif de la ville du 3 octobre 2007 : "L'expertise développée par Stationnement de Montréal au cours des dernières années dans la mise au point de bornes de stationnement informatisées «Payez-Partez» lui permettrait de jouer un rôle clé dans la conception et l'exploitation d'un système de vélos en libre-service à Montréal. Ainsi, Stationnement de Montréal agirait en tant que maître d'oeuvre du projet. À ce titre, elle serait responsable des études de faisabilité, d'avantages-coûts et superviserait toutes les activités liées à l'implantation du projet. Une fois le projet réalisé, Stationnement deMontréal superviserait l'ensemble des opérations et s'assurerait de la gestion du service à la clientèle, la gestion de la technologie, la gestion des fonds, l'évolution technologique, l'entretien du mobilier urbain et la gestion des communications."
Un autre extrait qui prouve que le projet était bien ficelé au départ et que le vérificateur qui parle de l’inexistence d’étude de faisabilité et de planification n’a pas peut-être pas cogné aux bonnes portes :
 “Les coûts d'implantation du projet s'élèvent à 15 millions de dollars. Les estimations préliminaires réalisées par Stationnement de Montréal sont basées sur l'implantation de 300 stations qui accueilleraient 2 400 vélos. Les coûts comprennent les études préliminaires, les frais juridiques, le développement des équipements (conception et fabrication des bornes et des vélos), la recherche et le développement technologique. Aucun déboursé n'est prévu pour la Ville de Montréal. Les premières estimations sont basées sur une utilisation de 35 % du potentiel d'utilisation en haute saison (170 jours) et de 13 % du potentiel en basse saison (70 jours). Avec un tarif d'utilisation projeté de 1,25 $/heure, l'auto-financement du projet serait assuré. Il faut préciser que ces estimations ne tiennent pas compte de revenus publicitaires possibles ou encore de commandites. Tous les coûts afférents à l'implantation du projet seront à la charge de Stationnement de Montréal. Ils seront financés à même un emprunt bancaire de telle sorte que les redevances annuelles normalement versées à la Ville demeureront intactes et ne seront aucunement compromises.”
Je disais que j’avais questionné le fait que la gestion du projet soit confiée à Stationnement Montréal sans appel d’offres. Mais j’ai fouillé un peu plus sur la Société en commandites et regardé sa mission, son historique et les sommes versées par cette entreprise à la Ville de Montréal et autres fonds collectifs, j’ai du nuancé mes critiques car Stationnement Montréal n’est pas une entreprise privée comme une autre mais représente une bonne source de revenus pour la Ville. Je ne soutiens pas ici que Stationnement Montréal n’ait pas commis des erreurs de gestion et que le « deal » signé avec elle fût absolument favorable à la Ville. D’ailleurs, je continue à croire que le projet devrait coûter moins cher, vu que Stationnement Montréal avait déjà développé une expertise reconnue et éprouvée des systèmes de gestion automatiques de transport. Ce qui n’est pas nécessairement le cas actuellement. Je tiens quand même à nuancer mes critiques en me basant sur certains faits.
Pour 2010, Stationnement de Montréal affiche des revenus de 60,9 millions de dollars en hausse de 4,6 % par rapport à 2009. Les dépenses s’élèvent à 24, 5 millions de dollars. Ainsi, 12,9 millions de dollars en redevances ont été versés à la Ville de Montréal durant cette période. Au total, Stationnement de Montréal a versé 41,4 millions de dollars sous forme de taxes, loyers, permis, intérêts, compensations et redevances.
Depuis sa mise sur pied en 1995, la Société a versé à la Ville de Montréal une somme cumulative de 321,7 millions $, en plus du versement initial de 56,8 millions $, pour une somme globale de 378,5 millions $ comme on peut le voir dans son rapport financier 2010.
La Société a aussi versé au Fonds de développement économique MR3 Montréal Relève, anciennement connu sous le nom Fonds Ville-Marie, une contribution de 600 000 $. Depuis 1995, MR3 Montréal Relève emploie ses ressources à l’implantation du projet Classe Affaires, soit un programme montréalais d’exploration de carrières visant la persévérance scolaire. Il offre aux élèves du 3e et du 4e secondaire l’occasion de réaliser un stage afin de découvrir différents métiers et professions.

Le projet Bixi a été victime de son expansion trop rapide et de la politicaillerie
Ce qui a nui et nuit encore au projet Bixi, c’est son expansion trop rapide et sa politisation. En effet, le déploiement du projet a été plus rapide par rapport à la planification initiale. Cette rapidité a peut-être des justifications politiques mais elle peut  aussi s’expliquer par l’engouement effréné de la population et des arrondissements pour le projet. Lisez-vous-même les commentaires des Montréalais ici.
Extrait
« Suite à plusieurs demandes des arrondissements et des citoyens, Stationnement de Montréal a reçu le mandat du comité exécutif de procéder dès cet été à l’implantation de la deuxième phase de BIXI. Cette deuxième phase consiste à ajouter 2 000 vélos BIXI, ainsi que 100 nouvelles stations dans les arrondissements de Mercier/Hochelaga-Maisonneuve, Côte-des-Neiges/Notre-Dame-de-Grâce, Villeray/Saint-Michel Parc-Extension et l’arrondissement du Sud-Ouest. Des stations seront également ajoutées dans Outremont et Rosemont- La Petite-Patrie pour compléter le déploiement dans ces arrondissements. Au total, le service comptera 5 000 vélos qui seront répartis dans 400 stations. Avec cette deuxième phase, le budget du projet passe de 15 à 23 millions de dollars. »

Certains politiciens de l’opposition colmatent des faussetés sur le projet « Bixi aurait actuellement un déficit de près de 37 millions de dollars, accumulé sur deux ans. En mai, le maire Gérald Tremblay avait lui même autorisé un prêt d'urgence pour sauver le projet. »
On ne parle certainement pas ici de déficits d’opération, ce montant de 37 millions inclut tous les investissements dans les immobilisations (infrastructures) nécessaires au fonctionnement du projet, des investissements qui devraient être amortis sur plusieurs années. C’est donc erroné de parler de déficit de 37 millions sur le plan comptable. Ce montant constitue la dette que la ville doit rembourser à Stationnement Montréal qui a fourni les infrastructures.
En conclusion, le projet Bixi n’est pas un mauvais projet en soi. Il présente des avantages et des retombées socio-économiques certaines. En dehors de tous les avantages environnementaux et de développement durable reconnus ou minimisés par certains opposants au projet, il ne faut pas oublier l’importante création d’emplois qui en a découlée. C’est une entreprise québécoise, Cycles Devinci, qui fabrique les vélos Bixi, on n’aurait pu les faire fabriquer en Chine ou en Thaïlande comme ailleurs. Une entreprise d’insertion professionnelle de jeunes en difficulté a été créée pour assurer l’entretien et la distribution des vélos.
Sans oublier que c’est un projet qui améliore l’image et le rayonnement de Montréal sur les plans culturel, touristique et économique.

Les problèmes qui ont miné le projet résident dans sa récupération politique, l’opacité et le manque de transparence dans sa gestion et surtout la précipitation ou la rapidité de son expansion sur l’île de Montréal qui a fait exploser les coûts d’implantation initiaux.

Le maire Tremblay rêvait de pouvoir s’envoler vers le paradis sur un Bixi, malheureusement pour lui, on assiste à une descente en enfer sans moyen de locomotion.

2 commentaires:

  1. Très bon article. Vous avez tout à fait raison quand vous dites que le projet aurait dû être présenté comme un service public plutôt que de promettre que ce serait rentable. La plupart des systèmes de vélo-partage en Europe et aux États-Unis sont subventionnés et c'est bien ainsi. Dans certains cas, ils sont commandités par des compagnies d'assurance qui reconnaissent les bienfaits pour la santé. Au Canada, on n'a pas de politique environnementale comme ils en ont dans les pays développés.
    Pour ce qui est du Velib à Paris, la compagnie JCDecaux n'utilise pas les vélos pour affichage. Selon Wikipedia, le contrat a été donné à JCDecaux en échanges de droits d'affichage sur 1628 panneaux à Paris sur 10 ans. En échange, JCDecaux a implanté le système de vélo-partage, paye un certain montant à Paris en plus des revenus d'abonnement. Considérant la différence entre la valeur du contrat d'affichage et les revenus, cela représente un manque à gagner de 33 millions d'euros par année pour la ville de Paris. De plus, JCDecaux négligerait le système pour sauver de l'argent et aurait menti sur le vandalisme pour avoir une compensation tel que stipulée dans le contrat. C'est donc loin d'être mieux que le Bixi. En contrepartie cependant, les coûts d'abonnements sont beaucoup plus bas en France.
    Ce modèle de PPP a été considéré à San Francisco par exemple. Il a fini par échouer étant trop coûteux. Il a aussi été implanté à faible échelle à Washington où il n'a pas bien fonctionné et a été remplacé par Bixi qui est un succès.
    Il ne faut pas se faire d'illusions, les PPP coûtent toujours plus cher. Hier, on apprenait que l'achalandage au nouveau pont de l'autoroute 25 était plus faible que prévu. Est-ce que quelqu'un s'est déjà penché sur le contrat. Je serais très surpris s'il n'y avait pas de clause de compensation si les revenus étaient moindre que prévu comme c'est toujours le cas dans les PPP.

    En conclusion, je considère que Bixi est un grand succès. La plupart des affirmations faites par ses opposants sont simplement fausses et devraient être ignorées.

    RépondreSupprimer
  2. Merci pour les précisions sur le cas de Paris. Oui les PPP ne sont pas souvent gagnants pour le public, les risques sont rarement équitablement répartis. Le privé va toujours chercher à maximiser ses profits. Il est parfois la seule facon d'aller chercher des expertises que le public ne possède pas. C'est d'ailleurs pourquoi, je considère que le cas de Bixi est loin d'être catastrophique, c'est probablement l'une des meilleures expériences de vélo libre service jusqu'à date. C'est dommage que les journalistes ne fouillent pas assez avant de balancer les articles. Ils aurait pu nuancer un peu toutes les critiques qui fusent dans les médias sur le projet.

    RépondreSupprimer

N'hésitez pas à laisser vos commentaires ici. Oui au débat d'idées, tolérance zéro pour les injures et attaques personnelles.